mercredi, janvier 10, 2007

Laissez l'Histoire tranquille ou Carthago Delenda est

Ma lecture de tant et tant de notes m'a fait mal à cause des libertés qu'on se permettait avec pour des raisons idéologiques ou à cause de ses propres croyances. Ceci n'est que le résultat d'un enseignement de l'Histoire biaisé et dans lequel on a occulté certaines époques et on valorisait d'autres dans des desseins plus que douteux.

L'Histoire d'un pays n'est pas un long fleuve tranquille enjolivé par quelques utopies et ne le serait jamais. Oui tout pays a connu des épisodes très sombres et en connaitra d'autres sûrement. L'important est d'apprendre et de méditer. Qui plus est, nous n'avons que des informations tronqué es d'autres biaisées et la vérité ne peut qu'en souffrir. Il faut se rappeler donc qu'il faut cesser tout jugement hâtif ou appréciation de valeur. Cessons de juger une époque à la lumière de notre système de valeurs car la constatation ne sera qu'erronée.
Entrons dans le concret: je prendrai comme exemple le mythe tant rabâché du supplice de la "pauvre" cité de Carthage.
Il faut rappeler que ce mythe est né pendant la période romantique qu'a connu l' Europe dès la fin du XVIII siècle. Ainsi, la chute de la cité a gagné ce "halo" de lyrisme et connu la notoriété depuis. Il faut se rappeler que Carthage, comme Utique, n'était qu'une COLONIE de marchands à la limite appendice de la Phénicie mais qui a connu la réussite et l'expansion. Mais cette cité s'est cantonnée dans la zone maritime et n'avait pas de relations très amicales avec les peuples "indigènes" : la fondation et une part du développement de la colonie de Carthage reposent en grande partie sur la confiscation par les Phéniciens de terres aux indigènes africains .Faut-il rappeler que toutes les cités sur le territoire ont laissé tomber la chère Carthage? Que celle-ci n'avait jamais d'armée propre mais seulement des mercenaires. Que ses notables cherchaient toujours les compromis et étaient défaitistes (là on a bien hérité des carthaginois) Il est intéressant de placer Carthage sur le même plan que Rome, et rappeler que les tous deux étaient à égalité et luttaient pour les mêmes intérêts de suprématie coloniale, d'expansionnisme régional tant politique. C’était le cas pour toutes les entités existantes pendant l’antiquité et même de nos jours. Donc nul ne pouvait seulement être victime car il était aussi lui-même agresseur.

Il faut étudier l'Histoire de Carthage selon un point de vue scientifique et qui respecte les standards des disciplines comme l'archéologie et l'histoire antique. Ne prenons pas l'Histoire comme l'image de nos fantasmes et les arguments d'un nationalisme aberrant et erroné. C'est bien de connaître l'Histoire de son pays mais ne jamais travestir la vérité (même si elle reste par définition partielle) pour chercher une quelconque légitimité. Enfin, notre Histoire ne se résume pas à une période l'antiquité car elle nous semble glorieuse ni à la période de la conquête islamique mais c'est une succession de royaumes vainqueurs et vaincus, des peuples d'ailleurs et d'ici, de tribus et de sédentaires etc. Il faut aussi mettre à mal le mythe de l'homogénéité.

Enfin, notre Histoire n'a pas 3000 ans car elle y avait quelque chose avant et il y aurait certainement quelque chose après.

IK

PS cette note est dédiée à quelqu'un qui se connaitera :)

7 Comments:

At 7:39 PM, Blogger marou said...

N'étant pas historien, je me permets d'avoir un avis mitigé quant au propos de ce post.

Je suis d'accord sur le fait qu'il faut prendre l'histoire d'un pays comme un tout et que l'historien, de profession ou l'amateur qui se réclame en tant que tel, doit avoir une approche scientifique et objective vis-à-vis des fait historiques, des périodes et des symboles et ne pas tomber dans la propagande. Ce n'est pas de même, pour le romancier ou le profane ( dés le moment ou il ne se réclame pas de la véracité absolue de ses propos) qui lui peut, à mon avis, fantasmer sur la vision héritée de l'histoire sans s'attacher de manière scientifique.
Je m'explique; Si on prend le cas de Carthage, un historien se doit de s'interroger sur ce qui a amené des phéniciens sur nos cotes et de leurs rapports avec les indigènes, mais un profane à tout à fait le droit de croire à la tragique histoire de la reine Elyssa-Didon et de sa mort tragique dans le feu de l'auto-sacrifice.
Ce qui est par contre aberrant, et là je suis d'accord avec toi, c'est d'utiliser une période historique tronqué pour faire de la propagande nationaliste, fasciste ou autre.

 
At 8:58 PM, Blogger Roumi said...

@Imperator : merci pour cette note qui dit beaucoup de choses très fortes et qui mériteraient de faire leur chemin dans l'esprit de tout un chacun.

@marou : je suis d'accord avec toi en ce qui concerne le principe de la liberté de l'artiste et du profane. Mais si l'on applique ce raisonnement de manière absolue, cette liberté peut devenir une absence de liberté, comme je le développe dans ce qui suit.

Déjà, il faut souligner que si l'on établit deux catégories, pragmatiques historiens, d'un côté, et rêveurs artistes et profanes, de l'autre côté, cela ne mène à rien ; il faut des interactions ! L'historien ne fait pas de l'histoire pour occuper égoïstement ses longues journées ; il le fait pour les autres, pour éduquer, pour enrichir... alors si on a face à soi uniquement des artistes et des profanes qui ne tiennent jamais compte de ce qu'on leur dit, sois gentil, Marou, envoie moi un pistolet et j'en finirai immédiatement.

L'utilisation de l'histoire par l'art n'est pas en soi un problème. Mais il faut tenir compte du problème de la réception de cet art par le grand public. Le fait est que la plupart des gens n'ont pas les connaissances et l'esprit critique suffisants (défaillances de l'enseignement...) pour mesurer ce qui relève d'une recherche scientifique fiable et ce qui relève de la sensibilité de l'artiste. Alors il faut quand même appeler les artistes à un certain sens des responsabilités car ils ont, bien souvent, une audience et un impact supérieurs à celui que peuvent avoir les scientifiques. Ainsi on ne retient pas l'oeuvre scientifique mais plutôt l'oeuvre artistique en général.

On doit aussi souligner les liens unissant d'un côté liberté de l'artiste et du profane et de l'autre côté la propagande. En effet, l'art et la propagande sont indissociables depuis toujours. Souvent l'art génère la propagande ou la nourrit. Tu sais mieux que beaucoup d'autres, Marou, tout ce que l'art a pu livrer dans ce domaine. Ainsi l'art n'est pas neutre et il peut servir volontairement ou involontairement des idéologies détestables et les libertés prises alors avec l'histoire peuvent avoir de graves conséquences. Ainsi la liberté de l'art ne préserve pas de ces idéologies que l'on veut combattre et peut même au contraire leur rendre service.

De la même façon les idéologies détestables fondent leurs assises sur l'ignorance collective. Alors le profane est libre de penser ce qu'il veut mais moins il cherche à avancer dans la connaissance et plus il sera perméable aux discours nationalistes ou autres et plus il grossira le flot de ceux qui se jettent la tête baissée dans le premier discours qui lui semble un tant soit peu censé, du moins en apparence.

Je pense que, face à la liberté dont tu as parlé et qui est en partie respectable, il faut aussi invoquer une deuxième dimension qui est celle de la responsabilité. La responsabilité, c'est pour l'historien de partager son travail pour contribuer au développement de l'intelligence collective... la responsabilité pour l'artiste c'est de mesurer l'impact de sa création et de respecter autant que possible le travail de l'historien pour ne pas l'occulter par sa sensibilité artistique... la responsabilité du profane, c'est de développer ses connaissances et de se rendre le moins possible perméable aux discours idéologiques.

On est toujours libre de tout faire, penser ou dire dans l'absolu mais on doit songer que les libertés que l'on prend avec le passé sont autant de risques que l'on prend pour l'avenir.

 
At 10:53 PM, Blogger marou said...

@Roumi: Entièrement d'accord, l'art et le roman ont toujours servi les intérêts de la propagande mais l'histoire aussi y a contribué; Vae Victis! ( pour exemple; l'histoire des sacrifices carthaginois ou de la barbaries des viking).

Mon approche romanesque de l'histoire ne comporte en aucun cas un désintéressement des faits, je trouve que la glorification des légendes et une composante culturel à préserver tout autant que les véritables faits.

Ps: Les historien doivent communiquer avec les profanes pour lutter contre l'obscurantisme et encore plus de nos jours.

 
At 11:37 PM, Blogger Roumi said...

@marou : mon Grand, tu es une sorte d'exception, tu es l'incarnation de l'âme romanesque et de la culture historique. :)
Dans ton cas, tu peux donc faire la part des choses et envisager les choses avec beaucoup de subtilité.

Mais il faut songer à tous ces gens qui n'ont pas ta conscience, tous ceux qui n'ont pas eu forcément la chance de s'instruire de manière convenable et qui n'ont pas le temps ou le goût de découvrir des choses... Il faut malgré tout parvenir à les toucher par des informations de qualité. C'est d'autant plus nécessaire qu'ils reçoivent avec une certaine vulnérabilité des données qui semblent historiques, du moins en apparence... et l'art, notamment tout ce qui est aujourd'hui visuel, contribue beaucoup aujourd'hui à leur laisser une image, généralement la seule qu'ils conservent, parfois très simpliste.

Pour ton p.s., tu as tout à fait raison. Les historiens doivent communiquer aux profanes dans leur domaine de compétence... personnellement je fais tout ce que je peux pour partager ce que je sais par le biais de conférences ou d'articles. Je peux dire que la plupart les historiens agissent de la sorte heureusement ! Et d'une certaine façon, je trouve que c'est aussi important de communiquer devant ses collègues que devant des profanes. Je m'en étais un peu expliqué dans une note il y a quelques semaines.:) Devant les collègues on vérifie qu'on a fait quelque chose d'acceptable. Ensuite on va le présenter, souvent à plusieurs reprises devant des publics divers. C'est un peu comme une tournée !
Mais on a un gros problème : c'est que les medias ont souvent mieux à faire que montrer le travail d'historiens, les éditeurs ont souvent mieux à faire que publier des livres d'histoire. On est totalement dépassé par la production "artistique" au sens large. Quand, par exemple, un livre scientifique sort sur l'antiquité, il y en a 5 ou 10 qui sortent, et qui ne sont pas scientifiques, oeuvres d'amateurs, parfois plein de bonne volonté mais sans aucune démarche fiable ou encore oeuvres de gens qui pensent pouvoir écrire sur tout. Dans ces livres, on trouve beaucoup de romans historiques ou de biographies dont certains se veulent réellement sérieux alors qu'ils ne le sont manifestement pas. Le gars écrit une fois une biographie de César et le lendemain ce sera celle de de Gaulle, par exemple. Et la plupart des gens achètent la bio de César en se disant que c'est très bien !
Qu'est-ce qu'on peut y faire ?! C'est infernal... et on passe notre temps à jouer les austères inquisiteurs qui corrigent tout ce qu'ils peuvent... c'est compliqué ! :) Et je peux dire aussi, par récit de collègues, que lorsqu'on tourne par exemple des docu-fictions sur l'antiquité, on fait appel à des conseillers qui donnent leur avis et à qui on dit "oui, vous êtes bien gentil mais nous on a déjà prévu les choses ainsi alors vous comprenez...". Résultat, même dans ces circonstances où des historiens sont là pour veiller, on n'arrive pas toujours à maintenir une bonne qualité. C'est une sorte de "combat" pour l'intelligence mais on est pas vraiment en position de remporter "la bataille"... on peut toujours espérer remporter "la guerre" pour l'Histoire mais elle risque de s'éterniser aussi longtemps que les guerres puniques, du moins les deux premières. :)

 
At 1:22 PM, Blogger Imperator said...

Salut à tous,
je vois que c'est animé par ici je vais vous continuer la discussion :)
@Marou je n'ai jamais discuté de la vision de l'Histoire par l'art, j'ai voulu insister sur le fait que l'histoire subit maintes "libertés" pour des raison outre qu'artistique. je veux te dire franchement que j'ai ecrit cela (meme c'est un peu tardive) en reaction de ce que je lis sur certains blogs à propos de carthage et de tout le tapage dont on fait pour plusieurs raisons assez eloignes de la pratique historique. car j'entends quelqu'un vouloir que la capitale de tunisie soit carthage pour des raisons "historiques" je ne peux rester silencieux. meme si je ne suis pas un professionel j'ai appris qu'il faut savoir choisir les references et faire attention chercher à faire des croisements et ne pas accepter tout comme vrai mais le critiquer. ceci m'etait encore plus facile avec les conseils de roumi :)
Enfin, l'artste ou romancier doit etre responsable et ne peut tout se permettre sur l'autel de la fiction et de la liberté. certainement un roman est un bon depart pour s'intéresser à l'histoire mais ne peut etre une reference .
Ceci nous ramen à reconsiderer l'apprentissage de l'Histoire dans nos ecoles et notre approches des faits historiques en toutes impartialité
@roumi je crois que tu as fait ton boulot par ici :) tu connais deja mon avis sur la question !!
IK

 
At 2:52 PM, Anonymous Anonyme said...

Avé chers amis,

Je tiens à souligner que la formation du sentiment nationale exige l'établissement de mythes +/- romantiques.. Regardez Jeanne d'Arc en France, Alex Nevsky en Russie, les Pilgrim Fathers aux USA, David, Salomon, les royaumes de Juda et d'Israël antique pour les israéliens, les philisitins pour les Palestiniens, vous voyez c'est très actuel.

L'historien ne doit pas devenir idéologue, c'est certain mais le peuple à le droit à ses mythes fondateurs et si les Tunisiens trouvent en Carthage de la fierté, ils ont raison et ça leur évitera de sombrer dans le tout-à-l'humiliation des peuples complexés.

Pour le reste, je tiens à signaler que les rapports entre Carthaginois et Berbères n'ont pas toujours été tendus même si c'est vrai que la Numidie s'est alliée à Rome contre Carthage après la 2e guerre punique.

Mais c'est mécanique : une puissance décline et l'autre naguère + faible en profite pour lui piquer du territoire... mais les Numides eux-mêmes ont finit par être victimes du cynisme romain.

Autre exemple d'affabulation "romantique" de l'histoire:

Les arabes sont, encore plus que les Phéniciens des envahisseurs. Des légendes débiles circulent sur le soi-disant bon accueil que nos ancêtres leur auraient réservés et la bonne grâce avec laquelle ils auraient accepté l'islam.

Ces images d'Épinal sont tout sauf vraies et il a fallu une guerre de 100 ans pour qu'enfin Okba ibn Naafal puisse prendre possession de l'Ifriqya. Signalons la résistance acharnée d'une reine juive, la Kahena, qui pourrait aussi bien être notre J. d'Arc...

Or, sur ce point, la pensée unique prévaut et les historiens ferment leur gueule. Parce que les tunisiens veulent être + royalistes que le roi, ils veulent être seulement arabes et purement musulmans quand bien même les études auraient prouvé que 80% de notre équipement génétique est Berbère et le reste se partage entre arabes, vandales, juifs, espagnols, turcs, etc.

Bref, l'objectivité des faits est très loin d'être établie et on le voit bien, les âges d'or sont des fabrications de l'esprit qui obéissent à des motifs idéologiques ou culturels : ici la volonté d'écraser les racines majoritairement non arabes des tunisiens et de l'autre coté la volonté de gonfler les racines carthaginoises des tunisiens pour des raisons de fierté nationale.

 
At 3:19 PM, Anonymous Anonyme said...

Tu "sens" qu'Hannibal a été ton ancêtre ?
(Apres tout, la reine Didon n'est qu'une émigrée, non ? ...)

 

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